Entre dictature des marchés financiers et «Europe allemande»
Le dernier downgrading de la moitié des pays de la zone euro, par Standard & Poor’s, même s’il s’est avéré inefficace, ne visait pas que les Etats en question . Il est contre l’euro. C’est plus contre le Mario de Frankfort (Draghi et la BCE) que contre le Mario de Rome (Monti), Di Rupo, et les leaders des politiques nationales de redressement. La méfiance radicale de la finance internationale vis-à vis de l’Europe vise l’idée même d’une régulation de l’économie mondiale d’un nouveau " Bretton Woods ". Martin Schulz, le nouveau président social-démocrate du PE partage cette analyse et même le Commissaire O. Rehn dénonce cette attaque venue d’outre Atlantique, qui sera relancée à Davos. Sauver l’euro par le renforcement de la gouvernance économique est un objectif politique. Il est vrai que la réduction des déficits publics est souvent la cause d’un déficit démocratique accru, de conflits sociaux et de poussée populistes, voire sécessionnistes. Mais le temps du financement des politiques progressistes par le déficit des comptes publics a vécu. Et accuser la Commission d’"ultralibéralisme " revient à s’en prendre à l’arbre, c’est-à-dire aux politiques conjoncturelles d’austérité, et à ignorer la forêt, ou autrement dit, une opportunité historique d’approfondir l’intégration européenne, la seule voie permettant de sauver notre dignité d’européens face à la Chine, l’Inde, les USA dans le monde multipolaire du 21 Deux questions se posent à propos de la forme et du contenu de la nouvelle Europe en cours de formation. La première question est celle du rôle de l’Allemagne. L’" Europe à deux vitesses " est en cours de construction. L’Allemagne a choisi d’avancer malgré le veto des conservateurs britanniques - autrement dit : de la City- et a lancé un nouveau Traité. La négociation entre les 26, le PE et la Commission, progresse en vue du Conseil européen du 31 janvier; elle porte sur le partage de compétence, expression technique qui cache une controverse sur le rôle respectif de la Commission et du Conseil dans le cadre de la gouvernance de la zone euro. Mais, l’essentiel est ailleurs. Primo, malgré les contrainte juridiques et politiques internes, l’Allemagne a fait le choix de l’Europe et rejeté l’option alternative de la constitution du bloc des pays auxquels les agences de notation décernent un triple A. Secundo, non seulement on assistera à un renforcement de la coordination des gouvernements, mais également des procédures supranationales (automatisme des sanctions, ratification du traité à 15 seulement, sur le 26, etc.), et ceci dans le cadre d’un multilatéralisme approfondi. Les boutades d’U.Beck (Le Monde, décembre) sur "l’Empire allemand" sont inappropriées. Mais la distinction, acceptée par le Ministre Schäuble lui-même, entre hégémonie hiérarchique (à rejeter) et une sorte de understated leadership La deuxième question concerne en effet les contenus et les bénéfices pour les citoyens : comment éviter une récession et relancer un modèle européen de croissance. Tout d’abord, il est nécessaire que l’Allemagne décourage la spéculation financière internationale, et renforce le EFSF ainsi que demandé par Di Rupo à Berlin. Ensuite, il faut qu’elle accepte de lancer les Eurobonds et un véritable "Plan Marshall" de croissance au bénéfice des économies les plus fragiles. Il n’est pas ici question d’altruisme : créer une force de dissuasion, une masse critique contre la spéculation financière et lancer une politique de croissance est dans l’intérêt de l’Allemagne elle même (F. Scharpf, Suddeutsche Zeitung, 23 déc.). Sans cela, l’Allemagne ne sera pas leader politique. Seulement ainsi l’Europe peut à nouveau rencontrer la raison et le cœur des citoyens. Un grand dessein européen en tant que réponse à une mondialisation qui tend à faire peur peut mobiliser les sentiments d’appartenance collective. L’objectif politique de renforcer l’intégration européenne peut devenir le symbole d’un modèle alternatif au modèle libéral américain mais aussi au modèle de capitalisme d’Etat, incarné par la Chine, l’Inde et les BRICS (The Economist). L’auto-exclusion du R. U. de Cameron n’empêche pas du tout la réforme d’un modèle continental d’économie de marché, à la fois social et compétitif. De même, l’espace public démocratique européen pourrait être dynamisé par une nouvelle dialectique entre droite et gauche, tant au niveau national qu’aux élections européennes de 2014. Réunis par la défense de l’euro, les conservateurs retiendraient du modèle allemand l’austérité, la stabilité des prix et la compétitivité, tandis que les progressistes essaieraient de concilier l’austérité de gauche avec la centralité de la négociation sociale, l’écologie, la solidarité avec les régions défavorisée ou encore l’investissement dans la recherche et le développement soutenable, les sujets de " EU2020 " pour lesquels nous avons tous quelques choses à apprendre de l’Allemagne. Mario Telo - Université libre Jean Monnet de Bruxelles, article publié sur "Le Soir"